J’ai vu le nouveau Blade Runner hier. Je mourais d’impatience de le voir, mais pour toutes sortes de raisons j’ai dû attendre jusqu’à cette semaine. Je ne vous ferai pas languir plus longtemps : j’ai adoré.
Retour en arrière : je ne compte plus les fois où j’ai visionné le Blade Runner de Ridley Scott. La première fois, c’était en salle, en plein milieu de ma phase Philip K. Dick. Je me rappelle que j’avais aimé ce film, mais qu’il ne m’avait pas particulièrement marquée. Je trouvais qu’il ne respectait pas assez l’univers de Dick, et en particulier le côté équivoque de l’identité de Deckard. C’était ce qui m’accrochait chez l’auteur de Ubik à l’époque (et encore aujourd’hui, même si son sexisme m’a faite un peu décrocher depuis) : le fait qu’on finit par ne plus savoir ce qui est réel et ce qui est fictif.
Quoi qu’il en soit, j’ai loué Blade Runner en VHS (!) dans sa version de 1992 « editor’s cut », et c’est là que j’ai accroché au film. J’ai compris ce qui semblait manquer à la mouture précédente : exactement ce que Ridley Scott a remis dedans en 1992. Je l’ai loué plusieurs fois par la suite, et j’en ai toujours profité pour le regarder quand il passait à la télé (le seul film que j’ai plus souvent vu à la télé est sans doute 2001. L’Odyssée de l’espace de Kubrick).
Bref, je ne suis pas exactement entrée dans la salle de cinéma (super AVX bien tonitruant) en spectatrice naïve. Quoique c’est bizarre, hein, mais on dirait que j’arrive toujours à voir ce film pour la première fois : je redécouvre l’histoire et découvre plein de petits détails qui m’avaient échappé la première fois. (Le film Brazil de Terry Gilliam me fait le même effet.) Cependant, je venais de raconter l’histoire à ma complice Sophie qui m’accompagnait au cinéma sans avoir vu le premier, alors on peut dire que je l’avais bien frais à la mémoire. Je le lui avais si bien décrit que lorsqu’elle a vu apparaître le personnage de Luv, elle m’a demandé si c’était Rachel (si vous n’avez vu ni l’un ni l’autre film, vous vous demandez de quoi je cause)*.
Dans son Blade Runner 2049, Denis Villeneuve a réussi le tour de force de me redonner le même plaisir que j’avais éprouvé en 1992. C’est le même film ou à peu près, la même histoire où le serpent se mord la queue! Et en même temps, il a réussi à me faire embarquer dans un nouveau film, parce que, en fait, le serpent se mord la queue juste à côté de l’endroit où l’on s’attend qu’il se la morde, où le cinéaste nous incite à penser qu’il se la mordra… exactement comme dans le Blade Runner de Ridley Scott. Plus prosaïquement : je me suis complètement laissée mener en bateau : même si la clé du film me pendait sous le nez, j’ai été surprise par la fin.
Le traitement m’a fait le même effet. À la fois hommage à la manière de Ridley Scott et vision personnelle de Denis Villeneuve, teinté de la science-fiction proto-cyberpunk de Philip K. Dick et de l’idée qu’on se fait du futur, nostalgique et moderne, le film nous propose un monde où la fiction, la virtualité et le mensonge se superposent constamment à la réalité. Cela est vrai pour les replicants qui n’ont de non-humain que de pas avoir de passé ni de descendance possible. Mais cela se cristallise aussi dans de très belles scènes, telles celles où l’image de Joi, compagne virtuelle de Joe, le personnage principal, se superpose et se synchronise à celle de Mariette, une travailleuse du sexe, afin que son compagnon puisse vivre l’expérience d’un rapport sexuel réel (on pense au film Her). Je songe aussi à ces magnifiques plans d’une Las Vegas ravagée par une explosion et où les statues, déjà imitations plus grandes que nature d’un réel imaginaire, gisent dans la poussière radioactive, à cette scène aussi, dans un palace de la ville où deux replicants se battent avec, en arrière-plan, le spectacle d’un Elvis Presley virtuel et usé. Il y a aussi toute cette réflexion sur la mémoire, sur les souvenirs préfabriqués ou réels, qui est trop importante dans le film pour que j’aie la mesquinerie de vous en dire davantage.
Ce n’est pas un film parfait. Il y a des longueurs, telle cette interminable scène de combat entre Joe et Luv, dans l’eau où s’est échoué l’avion privé qui transportait cette dernière et Deckard. Il y a aussi des petits bouts d’histoire qui sont laissés en plan. Par exemple, c’est plus fort que moi, mais j’aurais aimé savoir ce qu’il allait advenir du chien de Deckard. Mais en même temps, sa disparition en arrière-plan évoque peut-être la fin du premier Blade Runner, où Deckard lui-même se fait oublier. À la fin du film, on ne sait pas trop non plus ce qu’il advient de Freysa et des replicants libres, mais c’est peut-être simplement pour laisser la fin ouverte (à une suite?).
Blade Runner 2049 est un film lent, peut-être trop lent pour son temps, mais en même temps son rythme s’adapte bien à cette société du futur, noyée sous la brume et les interférences des images virtuelles. C’est un film d’ambiance, malgré le fait qu’il est aussi monté au goût du jour, et truffé d’action. C’est un film où l’espace cloisonné d’une Los Angeles surpeuplée alterne avec les zones interdites des dépotoirs et les vastes zones contaminées, un film où le soleil n’existe que derrière la brume.
C’est surtout, pour ma part, un film que je vais vouloir revoir, et sans doute souvent.
* Je n’ai ni la patience ni la méticulosité de me livrer à mon analyse personnelle de la chose, mais pour avoir une idée des rapports étroits entre le film de Villeneuve et celui de Scott, allez jeter un coup d’oeil à cette comparaison des deux bandes annonces faite par IMDb.