Il est vrai que la science-fiction ne nous a pas toujours habitués à une très grande psychologie des personnages. On peut par exemple penser aux personnages de Van Vogt, d’Heinlein et bien sûr d’Asimov. La science-fiction classique nous a souvent présenté des personnages peu étoffés, à la psychologie convenue, laissant la complexité se tisser ailleurs : dans la profondeur de la réflexion scientifique, sociale ou historique.
La science-fiction nous a aussi proposé des personnages ne sortant pas des stéréotypes socio-sexuels. Je pense en particulier à une nouvelle qui m’avait frappée, à l’époque, je crois qu’elle était d’Arthur C. Clark, lui qui pourtant a livré le récit tout en nuance 2001, l’odyssée de l’espace. Dans la nouvelle à laquelle je pense, le héros est en voyage dans l’espace et ne peut que songer à la façon dont sa femme cuit les saucisses à la maison. (Est-ce que quelqu’un pourrait me retrouver le titre de cette histoire?) Je reparlerai peut-être dans ces pages du sexisme systémique dans la science-fiction d’avant James Tiptree…
Quoi qu’il en soit, les choses ont un peu changé. Alors que le personnage n’était bien souvent qu’une pièce dans le casse-tête scientifique des récits, il est devenu peu à peu un élément essentiel. Plutôt que de le placer là comme figurant, la science-fiction, à partir des années soixante peut-être, s’est mise à s’interroger sur les rapports de l’individu à la technologie.
Moi, en tout cas, quand j’écris, je place les personnages à l’avant-plan. Oui, je fais des recherches préalables, oui, je me soucie de la vraisemblance scientifique, mais pour moi il est plus important d’explorer la dimension psychosociale de ces percées technologiques. Je sais que ce que je dis peut sembler paradoxal : n’ai-je pas écrit un roman entier où les intelligences artificielles sont les personnages principaux? Mais justement, ce qu’il m’intéressait de mettre en scène dans Les vaisseaux communicants, c’est la psychologie de tout ça, entre les IA, entres les humains et entre les humains et les IA, et aussi l’aspect dialectique (important, l’aspect dialectique dans la SF; il faudra que j’y revienne aussi!).