Qui veut me raconter une histoire de science-fiction?

Susan Sontag, sortant des questions féministes, se mêle de pornographie et de science-fiction. Selon elle, dans la SF comme dans la porno, on retrouverait un même rapport au temps et à l’espace, les mêmes « paysages anhistoriques et oniriques » et « actions figées dans le temps » (« The ahistorical dreamlike landscape where action is situated, the peculiarly congealed time in which acts are performed—these occur almost as often in science fiction as they do in pornography » : « The Pornographic Imagination », dans Styles of Radical Will, p. 46). Sauf son respect, c’est peut-être une grande auteure féministe, et je réserve mon jugement à propos de la porno, mais elle ne sait pas de quoi elle parle quand elle parle de science-fiction.

Je ne comprends pas comment elle peut décrire l’espace de science-fiction comme un espace hors de l’histoire et relevant du rêve alors que j’ai l’impression que c’est tout le contraire. Les histoires de science-fiction, me semble-t-il, sont extrêmement ancrées dans le temps et dans l’espace, parfois jusqu’à l’excès. Quand on lit les descriptions dans certains romans, on se dit que Balzac n’a qu’à aller se rhabiller avec ses descriptions de tentures faisant des pages entières.

Je pense que Sontag a peut-être lu juste quelques romans de space opera (à la Star Wars, disons) où là, c’est vrai, on se soucie peu de l’échelle du temps. Mais sinon, mon expérience de lectrice me laisse penser que, dès premiers temps, il a été important dans les histoires de SF, de situer l’action par rapport à un passé et à un futur. J’ai le sentiment que c’est même là tout l’enjeu : comprendre comment on peut passer d’ici à là, ou comment ou aurait pu passer d’un ici à un ici alternatif si l’histoire s’était déroulée différemment. Il me semble que c’est de l’hyperhistoire plutôt que de l’anhistoire!

Des personnages qui ont du caractère

Il est vrai que la science-fiction ne nous a pas toujours habitués à une très grande psychologie des personnages. On peut par exemple penser aux personnages de Van Vogt, d’Heinlein et bien sûr d’Asimov. La science-fiction classique nous a souvent présenté des personnages peu étoffés, à la psychologie convenue, laissant la complexité se tisser ailleurs : dans la profondeur de la réflexion scientifique, sociale ou historique.

La science-fiction nous a aussi proposé des personnages ne sortant pas des stéréotypes socio-sexuels. Je pense en particulier à une nouvelle qui m’avait frappée, à l’époque, je crois qu’elle était d’Arthur C. Clark, lui qui pourtant a livré le récit tout en nuance 2001, l’odyssée de l’espace. Dans la nouvelle à laquelle je pense, le héros est en voyage dans l’espace et ne peut que songer à la façon dont sa femme cuit les saucisses à la maison. (Est-ce que quelqu’un pourrait me retrouver le titre de cette histoire?) Je reparlerai peut-être dans ces pages du sexisme systémique dans la science-fiction d’avant James Tiptree…

Quoi qu’il en soit, les choses ont un peu changé. Alors que le personnage n’était bien souvent qu’une pièce dans le casse-tête scientifique des récits, il est devenu peu à peu un élément essentiel. Plutôt que de le placer là comme figurant, la science-fiction, à partir des années soixante peut-être, s’est mise à s’interroger sur les rapports de l’individu à la technologie.

Moi, en tout cas, quand j’écris, je place les personnages à l’avant-plan. Oui, je fais des recherches préalables, oui, je me soucie de la vraisemblance scientifique, mais pour moi il est plus important d’explorer la dimension psychosociale de ces percées technologiques. Je sais que ce que je dis peut sembler paradoxal : n’ai-je pas écrit un roman entier où les intelligences artificielles sont les personnages principaux? Mais justement, ce qu’il m’intéressait de mettre en scène dans Les vaisseaux communicants, c’est la psychologie de tout ça, entre les IA, entres les humains et entre les humains et les IA, et aussi l’aspect dialectique (important, l’aspect dialectique dans la SF; il faudra que j’y revienne aussi!).