Les recettes des trucs étranges

Je n’ai pas détesté Stranger Things de Matt et Ross Duffer autant que d’autres, mais je ne l’ai pas aimée autant que plusieurs. Je trouve en fait que c’est une série potable et ordinaire. Dark création de Baran bo Odar et Jantje Friese diffusée cette année, en revanche, m’a impressionnée. Les deux séries m’ont rappelé d’autres émissions récentes que j’avais aimées pour des raisons plus ou moins similaires.

Je suis en retard. J’aurais dû prendre le temps de regarder Stranger Things à sa sortie en 2016 sur Netflix.  Je ne serais pas ici aujourd’hui à en parler après tout le monde. Mais les jours sont courts et la vie est remplie d’activités passionnantes. Il faut dire aussi que, à l’époque, notre ami Patrick Senécal, dont je suis les péripéties sur Facebook, m’en avait un peu enlevé l’envie. Toutes les fois où il en a eu l’occasion, il s’est fait un devoir de critiquer sévèrement la série.

« Il y a un effet de mode là-dedans, affirme Patrick Senécal. Prenez la même histoire et enlevez les références aux années 1980 : c’est assez plate comme scénario ! Et les personnages sont clichés ! Il y a là-dedans un trip artsy de gens qui se targuent de voir les références. Oui, ils les voient, mais elles sont plates, ces références-là ! »

—Patrick Senécal,  Le Devoir.

À la même époque, si j’avais lu l’article ci-dessus dans lequel il est cité, j’aurais toutefois trouvé aussi la critique inverse, qui en fait un chef-d’oeuvre.

« Il commence à y avoir de l’enflure, mais on peut dire que c’est la meilleure série de 2016, que c’est la quintessence de ce qui se fait aujourd’hui », avance Pierre Barrette, docteur en sémiologie et professeur à l’École des médias de l’UQAM.

—Pierre Barrette, cité dans Le Devoir.

Le buzz autour de la série a perduré et, depuis que la deuxième saison était sortie le mois dernier, j’avais envie de voir de quoi il en retournait. Disons que je suis plus d’accord avec Patrick Senécal qu’avec ceux et celles qui acclament la série inconditionnellement, mais en même temps je ne veux pas renier le plaisir que j’ai eu à la visionner.

Je l’ai regardée comme je lis ou écris: en rafale. Deux jours presque non-stop (il fallait bien que je dorme un peu!) à m’immerger dans la vie des habitants de Hawkins, Indiana. J’ai embarqué dans cette histoire qui croise la série télévisée Chair de poule et l’univers lovecraftien. Tous les éléments sont là: une bande de jeunes amis nerds et reject, des bullies ado et pré-ado, un prof modèle, une mère surmenée mais aimante, une adolescente douée qui veut s’encanailler, un policier mélancolique au grand cœur, une enfant avec des pouvoirs psi, et des méchants très méchants. Est-ce que j’oublie quelque chose? Ah oui, quelques autres faire-valoir et une porte ouverte malicieusement vers un univers parallèle sombre. La deuxième saison reprend essentiellement les mêmes éléments, sauf que les méchants ont plus ou moins disparu pour faire place à la vilenie des créatures chtuluesques (et même là, il y en a une qu’on aurait presque envie d’apprivoiser, comme tente de le faire Dustin, un des garçons de la bande).

Je ne vous raconterai pas l’histoire: il y a suffisamment d’articles et de sites qui le font, et puis, vous n’avez qu’à aller voir la série! Je ne ferai pas de critique en règle: là aussi, les sources ne manquent pas. J’avais envie de vous parler des références au cinéma des années quatre-vingts qu’on retrouve un peu partout, mais encore là, j’ai été devancée.

Alors je vais me contenter de vous dire que j’ai passé de bons moments à regarder cette série qui s’amuse à faire des clins d’oeils rétro mais qui ne réinvente rien. Je dirais même que le fait de camper la série dans les années quatre-vingts (1983 pour être exacte) est souvent une excuse pour reprendre des clichés et ne pas remettre en question les rôles sociaux, par exemple.

Puis, je vais vous faire une confidence: j’ai vu Stranger Things après avoir regardé Dark qui, elle, m’avait soufflée. Cette série allemande, aussi diffusée sur Netflix, ose aller là où la série américaine n’a pas voulu aller: la violence cachée des petites villes, les secrets de famille, la dureté de l’adolescence, la cruauté de l’histoire. Le passage par les années quatre-vingts (1986 dans ce cas-ci) est justifié par des voyages temporels cycliques (pardon si je viens de vendre un punch).

Ces deux séries me font penser à deux autres séries relativement récentes: Les rescapés (écrite par Frédéric Ouellet et diffusée à partir de 2010) et Les revenants (créée par Fabrice Gobert et diffusée dès 2012). À elles quatre, ces émissions produites par quatre cultures bien différentes sont sans doute un bon baromètre des goûts occidentaux en matière de séries fantastiques. Elles permettent d’entrevoir la recette. Les rescapés ont en commun avec Stranger Things et Dark le côté rétro, et, dans le dernier cas, la rencontre du passé et du présent, en mode fantastique mais aussi par le clin d’œil, par la voie de la musique et de la mode notamment. C’est cependant avec la série allemande que la série québécoise a le plus de lien, comme si la seconde avait servi d’inspiration à la première, ce qui est peu probable. Si, dans Stranger Things, la faille temporelle (ou vers un univers parallèle) a pour origine les pouvoirs extrasensoriels, dans Les rescapés et dans Dark, on exploite la questions des trous de ver pour expliquer les voyages dans le temps et, dans les deux cas, il est question de physique quantique. Si, dans Les revenants, le fantastique n’est jamais expliqué, dans les trois autres séries, il a un fondement scientifique; même les pouvoirs extrasensoriels de Eleven sont étudiés en laboratoire.  Les revenants a cependant en commun avec Les rescapés et Dark la présence d’un prêtre sombre, qui semble tirer les ficelles ou profiter de la situation. Dans ces deux dernières séries, c’est un personnage d’homme d’église qui est à la source de la faille temporelle. Sauf pour Les rescapés, toutes les séries se déroulent en vase clos: Hawkins, Winden, et la ville dont on ne connaît pas le nom dans Les revenants sont toutes des villes coupées du monde et oubliées par le temps. Dans tous les cas, on a des exemples de familles dysfonctionnelles, mais aussi de relations troubles entre membres d’une communauté. Point commun entre toutes les séries: des personnages de jeunes qui , tels les quatre pré-ados nerds de Stranger Things, Victor dans Les revenants, Charles Boivin dans Les rescapés et Jonas Kahnwald  dans Dark comprennent beaucoup plus vite et en savent beaucoup plus long que les adultes.

Les éléments de recettes gagnantes, semble-t-il.

 

« Françoise développe des idées plutôt originales sur la narration en arguant que “la première personne n’est pas subjective”. »

Dans une critique sur Une sorte de nitescence langoureuse de Sylvie Bérard qu’elle a partagée (publiquement) sur Facebook, France Boisvert (auteure, entre autres, de Professeur de paragraphe, qui figure dans mes prochaines intentions de lecture, et pas juste parce qu’elle parle de moi) parle de moi!

 

Vous trouverez aussi cette critique sur le site de France Boisvert dans la section «Lectures».

Les vaisseaux communicants de Ricardo

Je vais vous faire une confidence: je me cherche. Chaque fois que je visite une librairie, je vérifie si mes romans y sont. Mon plus récent roman date de l’an dernier. Je ne me retrouve généralement pas sur les rayons.

Je ne blâme pas les librairies: il faut de l’espace pour étaler tous ces livres que les auteurs et auteures n’arrêtent pas de publier sans suffisamment lire ceux des autres. (Méchanceté gratuite: la plupart des écrivains et écrivaines que je connais sont aussi avides de lecture, et c’est le reste du monde qui ne lit pas assez.) À moins que le bouquin ait fait parler de lui de manière significative ou que que ce soit un classique, un livre reste environ trois mois dans les librairies. Ensuite, on ne garantit plus rien. Il arrive que, par chance, il en subsiste un exemplaire sur les tablettes d’une ou deux succursales des grandes chaînes. Sinon, il faut le chercher à l’entrepôt, en commande spéciale.  Les librairies sont avant tout des commerces, et on garde ce qui se vend.

Il m’est arrivé de me chercher dans les catalogues. Et alors, il se passe parfois quelque chose de très amusant. À une ou deux reprises, les libraires m’ont menti. Il m’est déjà arrivé de me faire répondre que j’étais épuisée, alors que je sais très bien que mon éditeur a des piles de moi dans son propre entrepôt. C’est juste que certaines grandes chaînes nationales semblent se baser sur leurs propres stocks, en oubliant l’existence des petits distributeurs: si le livre n’est pas dans leur inventaire, il n’existe pas.

Mais il m’arrive parfois quelque chose de plus particulier: je ne suis pas là où je penserais me trouver. Hier, par exemple, j’ai trouvé Les vaisseaux communicants dans la section cuisine. Remarquez, je ne suis pas la première à être mal classée: je déplace constamment les romans policiers d’Isaac Asimov de la section «science-fiction» à la section «polar», de même que tous les romans dits de «littérature générale» vers la section qui correspond à leur genre. Les œuvres de George Orwell, Margaret Atwood, Karoline Georges, et bien d’autres sont ainsi constamment ramenées vers leurs paires grâce à mes bons soins.

Curieuse, j’ai demandé à la libraire s’il y avait eu une erreur, mais elle m’a dit que, non, ils y étaient sans doute allés par le titre. («Mettez la farine dans un vaisseau de bonne taille et incorporez lentement le lait.») Cependant, en regardant la date de l’achevé d’imprimer, la libraire a sursauté. Elle m’a dit que la vraie erreur était qu’on n’ait pas encore retourné ce livre à l’entrepôt et elle est repartie avec vers l’arrière-boutique sans que j’aie pu dire quoi que ce soit. Ça m’apprendra!