J’avais dit que je reparlerais de féminisme dans ces pages, alors voici.
Le féminisme entretient des liens étroits avec la science-fiction et sa proche parente l’utopie depuis bien longtemps. Dans La Cité des dames, Christine de Pizan (1405) se sert de l’utopie féminine comme d’une parabole afin de démontrer la valeur des femmes. Charlotte Perkins Gilman, dans son utopie de 1915 Herland, décrit un pays secret habité uniquement par des femmes et souligne le conditionnement social lié aux catégories du masculin et du féminin. Plus près de nous, Louky Bersianik, dans L’Eugélionne, exploite les lieux communs de la science-fiction pour montrer l’étonnement d’une voyageuse extraterrestre à la recherche du « mâle de son espèce » et qui ne trouverait sur Terre que sexisme et misogynie. Parmi les premières œuvres qui ont suivi l’invention officielle du terme « science-fiction » (par Hugo Gernsback, paraît, en 1926), on note entre autres « The Conquest of Gola » (Leslie F. Stone, 1931) qui décrit un monde où les genres sont plus ou moins inversés par rapport à la société de l’époque.
La dimension féministe de la science-fiction ou les usages féministes qu’on peut faire de ses thèmes se limitent-ils à la seule utopie féministe ou le simple renversement des rapports socio-sexuels? Parmi les naissances possibles du genre, antérieures au XXe siècle, on cite souvent le roman Frankenstein de Mary Shelley (1818-1831). Certes, on n’a pas toujours considéré Frankenstein comme une œuvre particulièrement féministe et on a parlé des personnages imaginés par Shelley (la créature et son créateur Victor Frankenstein) comme de héros romantiques forcément masculins accablés de solitude et qui éclipsent les quelques rares personnages féminins de l’histoire. Jane Donawerth dans Frankenstein’s Daughters: Women Writing Science Fiction (1997), résume bien la situation : « au début de la science-fiction se tient une femme écrivaine, mais ironiquement celle-ci conçoit une histoire d’homme ». Cependant, elle poursuit en disait que Shelley soulève paradoxalement la question même de l’écriture au féminin en imaginant une science où les femmes ont leur place en faisant une sorte d’équivalence entre le monstre et les femmes-aliens! (Donawerth parle aussi du thème de l’enfant illégitime qui a aussi des ramifications féministes).
On rencontre plusieurs variations sur les croisements entre la robotique et le féminin dans la littérature de science-fiction (et au cinéma aussi!). Parmi les romans et nouvelles d’Élisabeth Vonarburg, il y a par exemple la nouvelle « La maison au bord de la mer ». On retrouve aussi des êtres vivants produits par la génétique dans la série « MaddAddam » de Margaret Atwood, et en particulier dans son roman de 2003 Oryx and Crake (publié en français sous le titre Le dernier homme qui m’irrite un peu par l’utilisation du masculin générique). Dans mon roman Les vaisseaux communicants, j’ai abordé un peu la question, même si ce n’est pas mon thème principal.
En tout cas, dans des textes du genre (il aurait vraiment fallu que je vous parle des récits de James Tiptree Jr., mais je vais juste vous inviter à aller les lire si ce n’est pas déjà fait!) on peut voir comment le contexte littéraire et social contribue au plaisir de la lecture et aux joies de la distanciation (celle de la science-fiction et celle du féminisme).